“Formation : Une baisse de dotation met les entreprises de proximité dans l’embarras” par Jules Thomas
“Formation : Une baisse de dotation met les entreprises de proximité dans l’embarras” par Jules Thomas
« Des professions comme la boulangerie-pâtisserie ne pourront globalement plus envoyer leurs salariés en formation à partir de juin. D’autres métiers pourront être impactés », alarme Laurent Munerot, président de la Confédération nationale de l’artisanat des métiers et des services (CNAMS), et vice-président de l’Union des entreprises de proximité (U2P) en charge de la formation professionnelle. Dans 53 branches professionnelles représentant 3 millions de salariés de l’artisanat, l’immobilier ou encore la coiffure, les formations organisées par les entreprises risquent d’être drastiquement revues à la baisse dès 2023.
Cette situation est la conséquence d’une baisse de la dotation que l’opérateur de compétences des entreprises de proximité (OPCO EP), dont dépendent ces métiers, reçoit chaque année de la part de l’institution France Compétences. Cette somme doit aider les entreprises de moins de 50 salariés à financer leur plan de développement de compétences (PDC), à savoir l’ensemble des actions de formation mises en place pour leurs salariés.
La direction de l’OPCO, qui aurait dû recevoir 166 millions d’euros − somme qui a été entièrement dépensée par les entreprises −, n’en a finalement reçu que 123. Et elle n’a appris la nouvelle par courrier que le 14 avril, alors que son exercice 2022 était clos depuis trois mois. Conséquence : un résultat net négatif, heureusement amorti par un recours à ses fonds propres.
Cette chute s’explique par un changement des règles de répartition des fonds entre les onze OPCO : un décret certifie qu’il dépendra désormais du nombre d’équivalents temps plein dépendant de chaque OPCO, et non plus du nombre de salariés. Or les salariés de la branche des particuliers employeurs (garde d’enfants, ménage…), dont la plupart travaillent à temps partiel, dépendent d’EP, ce qui implique que leur nombre passe de 1,27 million de travailleurs à 447 000 ETP. Ainsi, le nombre d’ETP total passe de 3 millions à 2,2, ce qui justifie la baisse de la part que reçoit l’OPCO sur les 552 millions attribués au total en France.
Absence d’anticipation
Si les branches concernées et l’opérateur ne peuvent que regretter ce changement, elles déplorent aussi le manque d’information à son sujet, et l’absence d’anticipation, étant donné que le décret en question date de décembre 2021. « Il est anormal que l’on revienne en avril 2023 sur l’exercice 2022, et après avoir été informé par deux fois d’une enveloppe budgétaire convenue, s’indigne Laurent Munerot. C’est inadmissible, comment voulez-vous gérer n’importe quel établissement si on apprend la dotation quatre mois après la fin de l’exercice ? »
Le Monde :
En 2023 et les années qui suivront, les PME devront donc composer avec un tiers de budget en moins, ce qui les plonge dans l’incertitude. L’OPCO a organisé un conseil d’administration extraordinaire pour s’organiser avec seulement 123 millions d’euros en 2023, invitant les branches à lister les formations prioritaires. Certaines d’entre elles ont déjà consommé la quasi-totalité de leur budget annuel.
C’est le cas des remontées mécaniques, qui emploient 18 000 salariés dont 15 000 saisonniers. « Il n’y aura plus rien pour intégrer nos saisonniers en novembre et décembre, alors que les formations sont cruciales pour réapprendre la sécurité, les enjeux de la relation clientèle, les gestuelles, explique Laurent Reynaud, délégué général du syndicat patronal Domaines Skiables de France. Chaque année nos entreprises consomment 300 000 euros via leur PDC. Nous avons reçu 275 000 euros de l’OPCO en 2022, on nous avait annoncé 207 000 pour 2023, et l’OPCO finit par nous dire que c’est finalement 103 000. »
Hygiène, sécurité, boulangerie…
« Il va y avoir de gros soucis, car il y a des formations nécessaires aux nouveaux outils et matériaux, des obligations sécuritaires. Les employeurs sont dans l’embarras, ils voient que l’argent qu’ils ont donné à France Compétences s’en va à d’autres branches », résume Eric Becker, secrétaire FO chargé des remontées mécaniques et des saisonniers.
Hygiène, sécurité, vente, management… Dans la boulangerie, les formations sont aussi indispensables, et concernent le cœur de métier. « Historiquement, les boulangers se sont toujours formés par ce plan de développement des compétences, explique Estelle Levy, directrice du développement territorial de la Confédération nationale de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie française. Les techniques évoluent en permanence, il leur faut donc faire des stages courts de deux jours, non diplômants, sur la viennoiserie, la fermentation, en fonction des évolutions de la société et des goûts. »
En 2022, indique-t-elle, la branche a intégralement investi les 17 millions d’euros alloués par l’OPCO. Pour 2023, elle devait déjà subir une baisse drastique, à 10,5 millions : « A la fin février, on avait déjà utilisé la moitié de l’enveloppe. Et là avec le recalcul, on pourrait se retrouver avec finalement 7 ou 8 millions, pour 33 000 entreprises dans la branche ! »
Les PME pourront-elles financer elles-mêmes ces formations ? Entre l’augmentation du coût des matières premières, de l’énergie ou de la masse salariale, l’équation paraît difficile. « Ce dysfonctionnement doit être compensé par des décisions de l’Etat, considère Laurent Munerot. Le gouvernement nous dit qu’on est dans un monde de compétences, qu’il faut s’adapter aux transitions numérique et écologique, qu’il y a un problème d’adéquation entre demande et offre. Si on a du mal à former, c’est à l’état de faire un effort pour garantir les sommes. »
Une réunion a été menée entre l’OPCO, France Compétences et la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle au ministère du travail, « afin de trouver des modalités d’aménagement qui impacteraient le moins possible l’opérateur », selon cette dernière, qui indique que l’enveloppe globale donnée aux OPCO reste stable, et que seul EP voit la sienne baisser. Les moyens de lui venir en aide sont toujours en cours de réflexion, et les cabinets du ministre du travail et de la ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels disent s’être emparés du sujet. France Compétences n’a pas souhaité nous répondre.
Si rien ne se passe, les syndicats craignent une déqualification des métiers concernés. « A moyen terme, il y aura un problème de manque de compétences, dans les petites stations, et une détérioration du service. Si on ne forme pas les salariés, il n’y aura plus de main-d’œuvre qualifiée pour occuper les postes », renchérit Eric Becker.
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